Chacun possède sa propre perception de la réalité et pour y trouver du sens, le cerveau humain a besoin de classer les données recueillies. De fait, les informations sont ordonnées en catégories. C’est ce que l’on appelle la pensée catégorielle : une forme de pensée qui permet d’opérer des classements d’objets en fonction de caractéristiques communes. Pour autant, le cerveau ne peut construire un catalogue que si la catégorisation est valide et utile. Par exemple, il est utile de différencier les torchons des serviettes car cela permettra de mieux essuyer la vaisselle.

Pour les données concrètes de tous les jours, ces deux critères sont facilement appréciables, en revanche dans le monde davantage subjectif des affaires, il en est tout autre. A trop catégoriser, la vision que nous avons de notre environnement s’en retrouve faussée. Alors, comment prendre des décisions justes, non basées sur une perception biaisée de la réalité ?

Bart de Langhe, maître de conférences en marketing à l’école de commerce ESADE de Barcelone et Philip Fernbach, professeur de marketing à la Leeds School of Business de l’université du Colorado, coauteurs de « The Knowledge illusion : why we never think alone », nous mettent en garde contre les risques de la pensée catégorielle. Ils nous incitent à prendre conscience de cet écueil pour se libérer des risques de classer par catégorie et décider objectivement.

1er risque : la compression

Le danger de la catégorisation est de compresser, c’est-à-dire d’estimer que tous les éléments du contenu de la catégorie sont semblables en tout point. Or, il n’en est rien : une catégorie comporte des sous-catégories. L’existence de ces sous-catégories implique la présence d’une multitude de déclinaisons au sein d’une même catégorie. Réfléchir en terme de catégorie limite donc le champ des possibles.

Prenons l’exemple du recrutement : à la suite de la parution d’une offre d’emploi, le recruteur va classer les candidatures reçues selon un critère principal (par exemple les compétences en négociation). Une fois ce classement fait, comment va-t-il départager tous les candidats de la catégorie « bon négociateur » ? Sans critères plus affinés au sein de cette même catégorie, le recruteur risquera de se contenter de l’impression donnée en entretien, sans investiguer davantage sur le niveau d’expertise requis pour le poste.

2ème risque : l’amplification

Avec la pensée catégorielle, le risque supplémentaire est d’amplifier les disparités entre les catégories, autrement dit, de stéréotyper les membres des autres groupes. Or, coller une étiquette à quelque chose ou à quelqu’un, limite considérablement la prise de recul et la vision globale et objective de la situation. De fait, prendre une décision à partir d’un stéréotype ne reviendrait-il pas à pendre une décision arbitraire ? C’est un peu comme si le décideur se plaçait dans la logique du « ou tout ou rien »!

Continuons notre exemple, notre recruteur pourrait avoir tendance à surestimer les candidats qu’il a classés dans la catégorie « bon négociateur » et dénigrer les candidats qu’il a placés dans le groupe « négociateur inexpérimenté ». Or, l’un d’entre eux a peut-être des ressources et un potentiel inestimable…

3ème risque : la discrimination

Le troisième danger est de privilégier une catégorie au détriment des autres. Or, il ne faut pas oublier que les catégories ont des interactions entre elles. Il serait dommageable de se priver de la richesse que pourrait apporter la variété et les dissemblances inhérentes aux autres groupes. Le risque est alors de passer à côté de paramètres variables. Pourtant ceux-ci apportent beaucoup à la compréhension des interactions entre les groupes, leurs membres et aident à prendre des décisions plus justes.

Par exemple, notre recruteur aura davantage de chance de trouver sa perle rare en « ratissant large » plutôt que de limiter son offre d’emploi à des « négociateurs expérimentés ».

Alors, pourquoi ne pas bénéficier d’une vision globale des choses ?

4ème risque : la fossilisation

Catégoriser les choses et les gens donne l’illusion que les éléments sont permanents, statiques. « Le monde est ainsi fait. » penserons-nous. Or, loin de toute fatalité, ce sommes nous qui avons organisé les choses de cette manière-là. Elles pourraient tout à fait être classées d’une façon complètement opposée.

La pensée catégorielle viendrait inhiber l’innovation en limitant la créativité de l’esprit alors  qu’en réalité, tout est pensable, imaginable.

Par exemple, si notre recruteur estime que seul un négociateur avec 10 ans d’expérience est compétent, il occulte la capacité d’adaptation, le dynamisme, la motivation et l’esprit novateur des jeunes diplômés.

Apprendre à contourner les dangers de la pensée catégorielle pour une meilleure prise de décision

Il existe plusieurs moyens pour éviter de s’engouffrer dans les écueils de la pensée catégorielle.

  • La première des choses est bien évidemment d’en avoir conscience. Nous pensons tous de façon catégorielle, c’est un fait. Néanmoins, il est possible d’apprendre à jongler avec l’incertitude, les nuisances et la complexité.
  • Avant de prendre une décision au regard d’une catégorie, questionnez-vous sur sa validité et son utilité.
  • Evaluez régulièrement les critères de décision et développez les alternatives.
  • Managers, organisez périodiquement des réunions de « défossilisation » : en mode brainstorming, questionnez votre équipe si le modèle est toujours d’actualité et si les besoins du marché ou de la clientèle ont changé.
  • Veillez à ne pas voir des catégories là où il n’y en a pas !

La pensée catégorielle est donc nécessaire pour donner du sens au monde. Mais pour ne pas s’enfermer dans son mode de fonctionnement et ne pas voir plus loin que le bout de son catalogue personnel, il est important d’apprendre à jongler entre les catégories elles-mêmes et leurs sous-groupes ! Avec une vision globale, vous développerez votre capacité créative et innovante et prendrez des décisions pour les bonnes raisons.

Points à retenir :

  • Les catégories sont le moyen qu’à notre cerveau pour donner du sens à notre environnement
  • Nous communiquons nos idées aux autres par l’intermédiaire de catégories
  • Au sein d’une catégorie, il existe des sous-catégories qui impliquent une multitude de déclinaisons possibles
  • Le risque : penser par catégorie augmente sa propension à coller des étiquettes
  • Attention à ne pas privilégier une catégorie plutôt qu’une autre
  • La pensée catégorielle donne l’illusion que les choses sont statiques
  • Pour limiter les risques de la pensée catégorielle, il convient d’apprendre à jongler avec l’incertitude
  • Pour éviter de se scléroser, évaluez régulièrement les critères de décision et développez les alternatives