“L’érudition est bien loin d’être un mal; elle agrandit le champs de l’expérience, et l’expérience des hommes et des choses est la base du talent.” Max Jacob.

L’expérience se définit comme la connaissance acquise par la pratique. Génératrice de talent, nous dit le poète français, mais est-elle toujours de bon conseil ? Doit-on ériger notre expérience, voire celle des autres, au rang de guide universel garant de la fiabilité ? Ce serait sans compter avec l’intervention de nos propres filtres. Vous savez, ces filtres qui ont la fâcheuse tendance de voir la réalité par le prisme de nos croyances et connaissances. Quand on choisit de se fier uniquement sur l’expérience, nous prenons un risque : celui d’oublier la voix de la sagesse, celui d’observer une situation sous un angle unique, celui d’opter pour la mauvaise stratégie. En effet, ce n’est pas l’expérience en elle-même qui compte mais les leçons que nous en avons tirées. Alors comment éviter le piège du chant de sirènes ? Emre Soyer et Robin M. Hogarth, respectivement professeurs à l’université d’Istanbul et de Barcelone nous donnent leur éclairage. Voici comment lire son expérience au travers du voile.

Le constat

Apprendre par la pratique, expérimenter, éprouver ce qui nous a été transmis, voilà ce qui forge notre expérience. Être expert nous donne la connaissance, le talent, la légitimité… en apparence. Car pourtant, l’expérience ne fait pas le moine ! Ce qui fera de nous un expert seront davantage les leçons que nous tirerons de nos expériences que nos expériences en elles-mêmes. Il est alors important de savoir analyser notre expérience et celles de nos proches en toute subjectivité. Nous allons voir que ce n’est pas si simple.

Pourquoi il est difficile de titre des leçons de l’expérience

Tout simplement parce que nous regardons notre expérience à travers de nombreux filtres. Ces filtres biaisent la réalité et par conséquent notre interprétation des choses. Les leçons que nous tirons de notre expérience ne seraient alors pas forcément toujours les bonnes… Prenons 3 exemples de filtres :

Le filtre du résultat

Quand nous vivons une expérience au résultat positif, nous avons la fâcheuse tendance d’associer cette expérience à son seul succès. Or pour tirer des leçons de l’expérience professionnelle, il est nécessaire de centrer son attention, non pas sur le résultat obtenu, mais sur le processus décisionnel qui a mené à ce résultat. Certes, ce processus est moins « visible » que le résultat. C’est pourtant en comprenant pourquoi on en est arrivé là, que nous pourrons en tirer une conclusion fiable. En effet, on peut tout à fait, sous le sceau d’un heureux hasard, obtenir un bon résultat avec une stratégie pour le moins discutable. Comprendre le processus, c’est aussi donner davantage de valeur aux actions préventives et donc favoriser la réussite.

Le filtre de la flatterie

Pour prendre une décision basée sur notre expérience, nous allons vouloir en débattre avec nos interlocuteurs. Nous allons vouloir leur présenter l’expérience qui nous a mené à opter pour telle ou telle stratégie, à faire tel ou tel choix. Nous allons vouloir connaître l’opinion des autres, solliciter des conseils. Oui mais, saurons-nous rester neutres quant au choix des « conseillers » et à la manière dont nous allons leur présenter notre décision ? Rien n’est moins sûr. En effet, nous sommes enclins à présenter les choses de la manière qui nous arrange. Nous savons aussi auprès de qui chercher des conseils qui s’apparentent davantage à de l’approbation qu’à un débat constructif. Voilà pourquoi, si l’on veut tirer des leçons de notre expérience, il est essentiel non pas de rechercher l’acceptation à tout prix mais de se confronter à la diversité d’opinions.

Le filtre de nos capacités de raisonnement

Notre tendance naturelle va être d’interpréter les situations en faveur de nos croyances. Nous sommes même capables d’éluder les hypothèses qui desservent notre paroisse. Le cerveau humain est ainsi fait.

En plus de nos croyances, nous devons en découdre avec notre mémoire et de ce côté-là, le souvenir de nos expériences peut nous jouer des tours et par conséquent remettre en cause la fiabilité de notre expérience … On peut donc légitimement dire qu’il sera difficile de tirer les leçons d’une expérience que nous avons-nous même surévaluée !

Comment éviter le piège des filtres pour tirer les leçons de notre expérience ?

… autrement dit voilà comment, les leçons que nous tirerons de notre expérience seront « à la base du talent » ! 

Analyser ses échecs

Ne nous focalisons pas uniquement sur les succès ! L’échec est une vertu, source d’apprentissage inestimable. Si on félicite les succès, passant sous silence les échecs, comment tirer des leçons  de ces derniers ? C’est parce qu’il y a échec, que nous allons chercher à comprendre le processus décisionnel qui a mené à une fin tragique. L’analyse des « accidents évités de justesse » apporte aussi des pistes de réflexionsGrâce à l’échec nous tirons des leçons de nos expériences. Etudier ses succès comme ses échecs est gage de performance.

Autoriser la contestation

Autorisons notre entourage personnel et/ou professionnel à faire preuve d’esprit critique et de franchise au sujet de notre expérience et de nos décisions. Les désaccords exprimés sont bénéfiques, ils ramènent les égos à leur juste place, déjouent les risques potentiels et permettent l’émergence d’idées novatrices.

Réfuter ses idées

Au lieu de trouver des éléments qui vont dans notre sens, attachons-nous à chercher des faits capables de contredire nos propres convictions et ainsi ouvrir le champ des débats et des potentialités. Projetons-nous dans une situation d’échec pour débusquer les clous dissimulés dans les rouages de notre création.

Défocaliser de son expérience

Gardons la possibilité de s’ouvrir à l’inattendu, soyons curieux et cherchons une multiplicité de scénarios pour accéder au champ des possibles ! Ainsi, notre expérience pourra devenir le terreau de nouvelles expérimentations…

Points à retenir :

  • Se baser uniquement sur l’expérience n’est pas gage de fiabilité.
  • Ce qui compte ce n’est pas l’expérience elle-même mais les leçons que nous en tirons.
  • Des filtres peuvent nous empêcher de tirer les bonnes leçons de nos expériences.
  • Centrer son attention, non pas sur le résultat obtenu, mais sur les processus décisionnel qui a mené à ce résultat est un gage de fiabilité.
  • Pour tirer des leçons de notre expérience, il faut : analyser ses échecs, penser prévention plutôt que solutions, entendre les critiques et objections de l’entourage, avoir une vision d’ensemble.
  • Autoriser son entourage personnel et/ou professionnel à faire preuve de critique et de franchise afin de prendre du recul sur nos expériences et décisions.